Le Figaro (06.02.2019) Un étude sur la fraude au travail détaché en France, et l'insuffisance des sanctions, en nombre et en montant, pour être dissuasives. Pour lutter contre la fraude au détachement, la Cour des comptes prône dans son rapport annuel un renforcement des sanctions administratives et pénales, notamment en termes de fermeture de chantiers ou d'établissements, et de mise en cause des donneurs d'ordres et maîtres d'ouvrage
Pour lutter contre la fraude au détachement, la Cour des comptes prône dans son rapport annuel un renforcement des sanctions administratives et pénales, notamment en termes de fermeture de chantiers ou d'établissements, et de mise en cause des donneurs d'ordres et maîtres d'ouvrage.
Ce n'est pas le travail détaché en soi qui pose problème, mais la fraude au travail détaché. Instauré par une directive européenne de 1996, le détachement de travailleurs permet à toute entreprise d'un État membre de faire travailler, pour une durée limitée, des salariés d'un autre État de l'Union. Face aux abus constatés, notamment de «dumping social», une révision de la directive de 1996 a été adoptée le 28 juin 2018, instaurant notamment le principe de «rémunération égale à travail égal en un même lieu». Elle entrera en vigueur en 2022. Toutefois, cela n'a pas été suffisant pour enrayer la fraude. Un vrai enjeu pour la France, deuxième pays d'accueil de travailleurs détachés (largement après l'Allemagne) avec 516.000 salariés détachés en 2017, et quatrième pays d'envoi.
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La fraude prend trois formes principales, qui peuvent se cumuler. D'une part, l'absence de déclaration préalable, pourtant obligatoire et indispensable pour cibler efficacement les contrôles. D'autre part, certaines entreprises ne respectent pas le «noyau dur» du droit français applicable aux salariés détachés (salaire minimum, durée de travail, repos et congés, conditions de travail et d'hébergement en particulier). Enfin, il peut s'agir de dissimulation intentionnelle. En clair, le détachement est utilisé alors que le salarié aurait dû être juridiquement employé en France, en raison d'une activité stable, habituelle et continue.
La France s'est dotée tardivement des moyens juridiques pour lutter contre la fraude au travail détaché, par le biais principalement de trois lois adoptées en 2014, 2015 et 2016. Par ailleurs, la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2017 oblige les salariés détachés à produire un formulaire attestant de leur affiliation à la Sécu de leur pays d'origine. Enfin, la loi du 5 septembre 2018 a doublé le plafond de l'amende encourue pour défaut de déclaration préalable.
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Mais si la palette des réponses administratives ou pénales a été nettement renforcée, l'implication des services de contrôle reste inégale, estime la Cour des Comptes dans son rapport public annuel publié ce mercredi matin. Parmi les bons élèves, la Cour tire son chapeau à l'Inspection du travail (DGT), qui a fait de la lutte contre la fraude au détachement une priorité depuis 2015, devenue sa 3e activité la plus importante, sous l'impulsion de la ministre Myriam El Khomri. Pour l'année 2017, ses contrôles ont débouché sur 859 infractions et 1034 irrégularités sanctionnées par des amendes.
La DGT a par exemple détecté une fraude dans l'agriculture portant sur 600 travailleurs détachés de 2013 à 2015, engendrant un préjudice de 2,4 millions d'euros aux dépens de la Sécurité sociale. Dans le transport routier, elle a repéré une entreprise française, ayant préalablement licencié ses salariés, qui a créé une société dans un pays à bas coût dans le seul but de les détacher ensuite en France. Alors que les préjudices sociaux et fiscaux ont été évalués à 4,8 millions d'euros, des avoirs ont été saisis à hauteur de 1,1 million.
Même satisfecit décerné à l'Office central de lutte contre le travail illégal (OCLTI), créé en 2005 au sein de la gendarmerie nationale, qui intervient dans les procédures les plus complexes, et a traité 70 enquêtes visant la fraude au détachement depuis 2011. L'OCLTI a ainsi contraint une compagnie de transport aérien à régler, à titre conservatoire, 13 millions d'euros début 2015.
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En revanche, la Cour des Comptes décerne un bonnet d'âne à l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), qui compte très peu de contrôles ayant débouché sur des redressements: 65 pour 51 millions de redressements en 2016, 63 pour 40,5 millions en 2017. Et les sommes effectivement recouvrées sont minimes (moins de 0,5% des redressements de 2016 étaient recouvrés en septembre 2017). «Les agents de contrôle ne sont pas tous familiarisés avec le droit particulier applicable au détachement en matière de sécurité sociale, ni avec les procédures européennes à respecter particulièrement longues», observe la Cour. De même, la Cour estime que la mobilisation des comités opérationnels départementaux anti-fraude (CODAF) est inégale et varie d'un département à l'autre.
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À l'arrivée, «les sanctions finalement prononcées au niveau pénal sont peu nombreuses et peu dissuasives», conclut la Cour des Comptes. Elle préconise de conduire une politique de prévention fondée sur une meilleure connaissance du phénomène, de cibler les contrôles pour être plus efficace et de faire aboutir les procédures de sanction. En particulier de renforcer les sanctions administratives et pénales appliquées en cas de fraude, notamment en termes de fermeture de chantiers ou d'établissements, et de mise en cause des donneurs d'ordres et maîtres d'ouvrage.
Croissance : pourquoi la Cour des comptes a peur ?
Guillaume Guichard (Le Figaro économie), Pierre Morel-A-l’Huissier (député de la Lozère et maire de Fournels) et Nicolas Lecaussin (directeur de l’IREF) décryptent le rapport annuel de la Cour des comptes.eut durcir les sanctions