Le Monde (14.06.2018) Un amendement dans la loi Pénicaud 2 va créer des chartes et des droits pour améliorer la couverture sociale des personnes employées par des plates-formes numériques.
Un amendement dans la loi Pénicaud 2 va créer des chartes et des droits pour améliorer la couverture sociale des personnes employées par des plates-formes numériques.
Par Sarah Belouezzane, Bertrand Bissuel
Aurélien Taché a tenu parole. Il y a plusieurs semaines, le député La République en marche (LRM) du Val-d’Oise avait exprimé son intention de défendre des mesures pour, disait-il, améliorer la couverture sociale des travailleurs ubérisés, ces personnes employées par des plates-formes numériques (Uber, Deliveroo…). C’est désormais chose faite. L’élu a rédigé un amendement allant dans ce sens qui doit être débattu, jeudi 14 ou vendredi 15 juin, lors de l’examen à l’Assemblée du projet de loi avenir professionnel.
La disposition défendue par M. Taché donne la possibilité à une plate-forme d’établir une « charte (…) définissant ses droits et obligations ainsi que ceux des (individus) avec lesquels elle est en relation ». Ce document vise notamment à « assurer (…) un revenu d’activité décent » et à trouver des solutions pour développer les « compétences professionnelles » des ubérisés par le biais (entre autres) d’un abondement de leur compte personnel de formation (CPF). Le but est d’étoffer les droits de ces personnes qui ont un statut d’autoentrepreneur, beaucoup moins protecteur que celui d’un salarié « ordinaire ».
En échange, il est prévu que la charte en question ne peut pas constituer un indice qui caractériserait « l’existence d’un lien de subordination juridique entre la plate-forme et les travailleurs » : autrement dit, les ubérisés ne pourront pas se prévaloir de ce document pour réclamer à un juge la requalification de leur relation avec la plate-forme en contrat de travail salarié. L’objectif est de prévenir des contentieux de ce type, qui éclatent régulièrement, à l’heure actuelle.
La démarche « peut inquiéter »
« Il s’agit de favoriser la responsabilité sociale des plates-formes tout en répondant aux aspirations des travailleurs qui souhaitent demeurer indépendants : gérer leur vie, piloter ce qu’ils gagnent et comment ils le gagnent, explique M. Taché. Plus une plate-forme s’engage dans la responsabilité, plus sa relation avec le travailleur est sécurisée. »
« Bien qu’ambigu, le texte ne devrait pas interdire une requalification en contrat de travail si des éléments autres que la charte, en particulier les conditions effectives d’exécution de l’activité, caractérisent un lien de subordination entre les deux parties », souligne Pascal Lokiec, professeur à l’école de droit de la Sorbonne. En d’autres termes, une action en justice reste possible mais elle ne peut pas être fondée sur la charte. Cela étant, la démarche de M. Taché « peut inquiéter », selon M. Lokiec, car elle repose sur la volonté de « sécuriser les relations entre la plate-forme et les indépendants ». Or, « à chaque fois que ce terme a été employé par le législateur ces dernières années, l’objectif a été d’écarter le contrôle du juge », conclut-il.
« Cette mesure est décevante et passe à côté de l’essentiel car la charte en question exprime la volonté unilatérale de l’employeur alors qu’il aurait été préférable de s’inscrire dans un dialogue entre partenaires sociaux, à l’échelon de l’entreprise ou de la branche », confie l’économiste Gilbert Cette, coauteur du livre Travailler au XXIe siècle (Odile Jacob, 2017).
Plusieurs syndicats, pour leur part, expriment de vives critiques. « Ça enfonce un coin dans le statut de salarié », déplore Michel Beaugas (FO). « Manipulation grossière », tonne la CGT dans un communiqué : selon elle, la volonté de M. Taché est « d’inscrire dans la loi » que les travailleurs des plates-formes « ne peuvent être considérés comme des salariés ». Interrogé lors d’une émission sur France Inter, Laurent Berger avait également fait part de ses réserves, lundi, en insistant sur la nécessité de ficeler des accords collectifs (et non pas des documents émanant des directions d’entreprise) pour instaurer des droits en faveur des ubérisés.
Pour François Hurel, président de l’Union des autoentrepreneurs, « cet amendement achèverait d’exclure les 90 à 92 % d’autoentrepreneurs qui ne travaillent pas pour des plates-formes, de la protection sociale prévue par la nouvelle loi ». Le texte élargit l’assurance-chômage à certains indépendants, mais les autoentrepreneurs, eux, ne bénéficieront pas de cette extension, regrette-t-il.