Le Monde (11.10.2017) De la Bretagne à Pittsburgh en passant par Bruxelles, San Francisco, le Tarn ou la Suisse, cet instructif documentaire à travers la planète, coécrit par Noël Mamère et Philippe Borrel, a de quoi inquiéter des millions de travailleurs.
On savait les moins qualifiés déjà durement touchés par le chômage de masse en raison de la robotisation et des machines « intelligentes », plus fiables et moins coûteuses que les humains. En faisant témoigner des manutentionnaires, les auteurs mettent des mots sur les maux du travail d’aujourd’hui.
L’exemple du secteur de la logistique, qui emploie 700 000 personnes en France, est éclairant. Les robots ont envahi les entrepôts. Comment faire cohabiter ces machines et les hommes ? Il est bon de rappeler qu’un salarié français sur cinq est un ouvrier. Quel avenir peut-on imaginer pour ces millions de travailleurs ?
Avec l’automatisation accélérée des entreprises, le pire est peut-être à craindre. Le problème étant d’ailleurs similaire de l’autre côté de l’Atlantique où des millions d’ouvriers américains, peu ou moyennement qualifiés, perdent leur emploi. Celles et ceux qui subissent le nouveau monde technologique sans pouvoir s’y insérer semblent condamnés.
« Variable d’ajustement »
Le danger de perdre son travail commence à toucher les cols blancs, cœur de la classe moyenne. Même dans le secteur tertiaire, l’emploi humain est menacé comme le montre l’intérêt de plus en plus marqué des banques et des sociétés d’assurances pour les machines du type « chargé de compte virtuel ». Selon plusieurs instituts internationaux, 40 % à 50 % des emplois auront disparu dans les vingt prochaines années !
« L’humain est devenu une variable d’ajustement parmi d’autres. Un facteur toujours moins important, parce que les machines sont toujours plus prépondérantes dans le système de production du capital. L’humain finit même par être perçu comme le grain de sable qui fait que le système pourrait dysfonctionner », estime Daniela Cerqui, anthropologue des sciences à l’université de Lausanne. Une vision trop pessimiste ?
A quelques milliers de kilomètres de là, Fred Turner, professeur des sciences de la communication à l’université de Stanford, en Californie, se veut un peu plus confiant en l’avenir : « Notre plus grand défi est de faire comprendre que l’innovation technologique n’entraîne pas nécessairement l’accroissement des inégalités et l’appauvrissement des gens. Ce n’est pas une fatalité. Pour cela, il faudrait imposer des règles à des sociétés qui n’en veulent plus, comme le partage des bénéfices… Cela fait partie du boulot de ceux qui nous gouvernent. »
En attendant de trouver une solution à la raréfaction a priori inéluctable de l’emploi salarié, certains tentent d’imaginer une nouvelle société où le plein-emploi serait remplacé par la pleine activité et où un revenu universel versé à tout le monde deviendrait une évidence.
Selon l’économiste britannique Guy Standing : « Si on avait un revenu de base, vous verriez qu’on se détournerait de l’emploi au bénéfice du temps consacré à la solidarité, au bénévolat, au travail en commun, au développement de toutes ses capacités. Avec un sentiment de meilleure maîtrise de notre temps. Les travailleurs les plus précaires n’auraient, par exemple, plus besoin de travailler soixante heures par semaine pour un salaire de misère. »
Depuis quelques mois, des expérimentations concernant le versement d’un revenu universel ont cours aux Pays-Bas et en Finlande. Le début d’une nouvelle société ?