[Blog] France: La robotisation, l'emploi et les médias

Submitted by fabbri on Tue, 05/29/2018 - 14:43
Body

Le Club de Mediapart (29.05.2018) Dans les médias, les informations concernant les rapports entre robotisation et suppression d’emplois sont très rares, d’où l’intérêt de cette émission. Pourtant, ce problème est présent de longue date, quasiment depuis le début de la « révolution industrielle ».

Regions / Country
Global challenges
Document Type
Digital Economy Topical Cluster
Digital Economy Observatory : Only Tags
Description/integral text (Internal-not for publishing)

La robotisation, l’emploi et les médias

 Il était nécessaire de regarder l’émission « Envoyé Spécial » du jeudi 11/01/2018. Voici ci-dessous les deux liens qui permettent d’accéder de manière partielle à ce document (s’il existe encore !) …

https://www.francetvinfo.fr/replay-magazine/france-2/envoye-special/video-en-chine-une-armee-de-robots-pour-assurer-le-tri-postal_2553525.html

https://www.francetvinfo.fr/replay-magazine/france-2/envoye-special/video-mon-banquier-est-un-robot_2554607.html

 Avant de pousser la réflexion plus avant, remarquons que dans les médias, les informations concernant les rapports entre robotisation et suppression d’emplois sont très rares, d’où l’intérêt de cette émission. Pourtant, ce problème est présent de longue date, quasiment depuis le début de la « révolution industrielle ».

Cette robotisation, en raison du développement incroyable de l’Intelligence Artificielle (I.A.) se poursuit inexorablement et il est impossible, aujourd’hui, d’en déterminer les limites.

 Jacques DUBOIN, banquier, industriel et homme politique (il fut sous-secrétaire au Trésor en 1935), créateur de la revue « La Grande Relève » fut, en son temps, particulièrement visionnaire sur ce sujet[i]. Il a très bien compris que pendant la « révolution industrielle », la machine a supprimé une multitude d’emplois dans les pays occidentaux (machines à tisser, moissonneuses-batteuses, machines outils numériques, etc…) et que les hommes politiques n’étaient pas en capacité d’en déterminer les conséquences.

Précisons que, après les « trente glorieuses » dans les pays développés, beaucoup d’emplois ont disparu en raison des seules délocalisations (en Chine et ailleurs, au Bengladesh pour le textile), la où le coût du travail était très faible. Les patrons considéraient certainement que, par exemple, un Chinois coûtait moins cher qu’une machine. A ce moment, nos économistes orthodoxes ont affirmé que le chômage était du à la mondialisation (et au manque d’adaptation de l’économie française)… ce qui est partiellement exact évidemment, mais d’autres causes sont aussi à l’œuvre...

 Des conflits sociaux ayant éclaté en Chine (une carte les situant est même proposée au cours de l’émission) le pouvoir, pris de peur, a eu « l’incroyable » idée d’inciter à la robotisation massive car les machines ne se révoltent pas (la Chine est un pays « magnifique » où le capitalisme peut faire tout ce qu’il veut !)…

Le processus de liquidation du salariat est donc également en marche dans ce pays et pourtant on était loin de penser que cela puisse arriver car la masse des salariés « pas chers » était énorme et, de plus, ils étaient susceptibles de devenir des consommateurs compulsifs (comme chez nous !).

Evidemment, dans les pays dits développés, se poursuit allègrement cette « casse » du salariat (pour le transformer en « Précariat »), ceci avec l’aide de plus en plus importante du numérique (sur iPhone, les emplois dits partagés, AirBnB, Uber, BlaBlaCar, etc… qui en terme de partage est un leurre[ii]mais permettent à ces entreprises de pratiquer une croissance à deux chiffres!).

 250 millions d’emplois seront supprimés dans le monde d’ici 2025, c’est-à-dire demain[iii]!… Et encore, la personne qui le dit dans l’émission (qui n’est pas un mythomane), est certainement loin de la vérité[iv](d’autres parlent de 600 millions) !...

 La question importante à se poser est : peut-on encore parler de la théorie de la destruction-créatrice(de Schumpeter[v]) qui affirme que toute destruction d’emplois précède la création d’autres. Cette théorie est-elle fondée ? En fait, elle est chère aux économistes néolibéraux comme Nicholas BOUZOU (qui intervient « massivement » dans les médias) et qui ne manque pas de la rappeler comme une litanie. Il n’est pas le seul et un de ses collègues affirme: « …20% des emplois de demain ne sont pas encore inventés… »… Oui, mais quelle vont être leur nature?.

 En raison des informations développées dans cette émission et ailleurs (voir les vidéos avec Bernard STIEGLER (3), indiquée en note de bas de page ), particulièrement dans la « Grande Relève », nous sommes en droit de nous interroger…

D’une part, les «  économistes atterrés » et quelques candidats à l’élection présidentielle de 2017[vi], pensent avoir trouvé la réponse à cette question : l’économie verte. L’écologie est susceptible de créer des millions d’emplois affirment-ils !… Peut-être, mais pour combien de temps ?...

D’autre part, beaucoup affirment qu’il faudra des emplois pour fabriquer les robots!… Ce qui est exact, mais :

1) La destruction deviendra telle que le différentiel entre emplois créés et emplois supprimés sera de plus en plus important.

2) Les emplois créés pour penser et fabriquer ces robots, non seulement seront numériquement faibles mais, de plus, d’un niveau de qualification tel que le plus grand nombre ne pourra pas y accéder.

Les emplois supprimés seront, comme toujours, ceux faiblement qualifiés mais pas seulement à terme. En fait, ils correspondront à des personnes qui ne retrouveront jamais leur place sur le marché du travail. Par exemple, 50% des secrétaires et des emplois de service pourraient disparaître d’ici 50 ans (en raison de l’intelligence artificielle qui envahit ce domaine)[vii], les emplois de remplacement viendront-ils combler cette perte? Rien n’est moins certain![viii]...

Il n’est pas question d’affirmer que c’est la fin du travail que nous vivons, mais c’est l’emploi rémunéré qui meurt

 Dans l’émission « Envoyé Spécial » citée au début, le patron d’une entreprise qui produit des robots dit : « je me fiche de ce que les emplois vont devenir, l’important c’est que mes robots soient efficaces ». Cette déclaration pourrait être choquante et bien qu’elle ait le mérite de la sincérité, c’est la loi du système qui transparait dans ces paroles.  Les médias, les hommes politiques, les élites, les responsables d’entreprises, les économistes par leur discours  entretiennent la croyance que le monde de demain va s’en sortir en poursuivant la chimère de la recherche à tout prix du plein emploi (rémunéré !). En Allemagne, on fait croire qu’il est atteint, mais c’est un leurre qui permet d’asséner au peuple français que notre pays ne prend jamais les bonnes décisions (et que l’on a bien fait de voter MACRON !!). Pourtant, il suffit de lire le « Monde Diplomatique » qui a titré : « l’enfer du miracle allemand »[ix], pour se persuader que les réformes économiques néolibérales produisent souvent une dégradation massive de la qualité des emplois créés…

 Il semble que pour certains la recherche du plein emploi soit une croyance bien ancrée (formatés qu’ils sont par la formation dans les Grandes Écoles, l’E.N.A. et Science Po). Pour beaucoup c’est la sauvegarde du système qui est en jeu (en particulier les économistes néolibéraux), également pour certains (les syndicats) il s’agit, comme depuis longtemps, de conserver les emplois de ceux qui en ont encore un, ce qui est évidemment légitime dans le moment. Faut-il rappeler que ce système permet aux plus riches de continuer à s’enrichir impunément dans tous les pays développés et/ou en développement,

Au cours de cette émission, un intervenant dit que l’augmentation incroyable du chômage va créer des tensions, du populisme et des votes extrêmes… Certes!! Comment ne pas être en accord avec cette prévision qui augure d’un triste avenir ?... De plus, c’est déjà le cas, aux Etats-Unis avec TRUMP[x], en France avec Le PEN, en Autriche avec KURZ, en Hongrie avec ORBAN, etc…

Hélas, à la fin de l’émission, aussi argumentée fut-elle, on reste « sur notre faim » et on perçoit que les explications et les propositions étaient loin d’être finalisées.

Le système capitaliste et l’économie financiarisée ont un énorme pouvoir d’adaptation (c’est ce qui a permis au système de se maintenir jusqu’à aujourd’hui alors que beaucoup prédisaient sa destruction). En effet, ils sont capables d’absorber en leur sein même les meilleures évolutions. Il suffit, pour s’en persuader, de considérer, entre autre, l’écologie (avec « le permis de polluer »[xi]), l’agriculture biologique[xii](avec la baisse actuelle de ses contraintes qui permet aux grands groupes de se l’approprier afin d’augmenter leurs dividendes), les réseaux sociaux (Facebook et Twitter qui font croire que les individus vont pouvoir ainsi entretenir du lien social, alors que c’est le contraire qui est déjà à l’œuvre[xiii]…)… etc. 

Il est donc nécessaire de se poser les bonnes questions afin, non pas de transformer ce système mais de le remplacer et ceci avant qu’il ne soit trop tard (il l’est peut-être déjà!!).

Mais, cette réflexion n’apparaît jamais dans les médias, certainement en raison de ce que J.F. KAHN appelle la « pensée unique »[xiv], mais également en raison de la peur que cette réflexion est susceptible d’entrainer, à savoir le retour d’un hypothétique communisme, pensée qui confine souvent à la névrose et ainsi empêche toute réflexion constructive[xv].

D’autres solutions en dehors de ce retour fantasmé sont possibles…

Il est fort inquiétant de constater que nos élites ne l’abordent jamais : les journalistes même au Monde Diplomatique, les économistes mêmes atterrés!!!

Encore un exemple : un seul candidat à l’élection présidentiel de 2017[xvi]a osé parler du « revenu universel ». Même si le concept, dans ses propositions, manquait de profondeur (surtout en terme de rupture entre emploi et revenu), il fut stigmatisé et décrédibilisé au sein de son propre parti.

Pour terminer, est-il besoin de rappeler que seul le regretté Bernard MARIS a parlé de Jacques DUBOIN dans un de ses livres![xvii]

Pourtant, le temps presse…
         Claude Rajain