Le salaire minimum, un pilier de l’Europe sociale difficile à construire

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EurActiv (01.02.2018) Témoin des énormes disparités de niveau de vie au sein de l’Union européenne, le montant du salaire minimum légal varie de 1 à 9 dans les 22 pays qui l’ont adopté, ce qui rend particulièrement complexe son harmonisation au niveau européen.

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Témoin des énormes disparités de niveau de vie au sein de l’Union européenne, le montant du salaire minimum légal varie de 1 à 9 dans les 22 pays qui l’ont adopté, ce qui rend particulièrement complexe son harmonisation au niveau européen.

Brandi par ses promoteurs comme un pilier de l’Europe sociale, ce projet se heurte à de fortes résistances, au nom de la compétitivité, de la souveraineté ou du risque de nivellement par le bas.

Un des « socles » de l’Europe sociale 

Face à la poussée eurosceptique, la Commission européenne est passée à l’offensive pour tenter de démontrer que l’Union européenne (UE) ne se résume pas à un marché commun, mais a aussi un visage social.

La première pierre a été posée le 17 novembre 2017 à Göteborg, en Suède, où les 28 ont signé un « Socle européen des droits sociaux ».

Le texte énonce, parmi 20 principes fondant l’Europe sociale, que des « salaires minimums appropriés » doivent être garantis dans tous les pays européens. Ils doivent être fixés de manière à « satisfaire aux besoins du travailleur et de sa famille compte tenu des conditions économiques et sociales du pays, tout en sauvegardant l’accès à l’emploi et les incitations à chercher un emploi ».

Mais cette déclaration, non contraignante, n’a qu’une portée symbolique.

Et il ne pourrait en être autrement, car « les traités européens stipulent bien que les salaires relèvent de la compétence nationale », rappelle Claire Dhéret, cheffe du département Emploi et Europe sociale à l’European Policy Centre (EPC), basé à Bruxelles.

Aujourd’hui, un rapport de un à neuf 

Le « socle européen » n’est, pour l’heure, que partiellement respecté.

Une majorité de pays de l’UE — 22 sur 28 — dispose d’un salaire minimum légal, c’est-à-dire fixé par la loi. Mais les chiffres de l’office européen de statistiques Eurostat font apparaître des disparités extrêmes, avec des minima qui s’échelonnaient en 2017 de 460 leva brut mensuels (235 euros) en Bulgarie à 1.999 euros au Luxembourg, soit un rapport d’un à neuf.

Ce rapport n’est toutefois que d’un à trois si l’on pondère ces salaires selon le coût de la vie dans chaque pays.

Les chiffres d’Eurostat révèlent une dichotomie entre l’Est et l’Ouest. D’un côté, dix pays de l’Est ont des salaires minimums inférieurs à 500 euros, de l’autre, sept pays de l’Ouest ont des salaires minimums qui dépassent 1.300 euros.

Entre ces deux groupes, cinq pays du Sud affichent des salaires minimums compris entre 650 et 850 euros.

Les six autres pays (Chypre, Italie, Autriche, Danemark, Finlande et Suède) sont dépourvus de salaire minimum légal, mais les salariés peuvent tout de même être couverts par des minima de branches fixés par les partenaires sociaux.

Des débats nationaux similaires

Malgré cette grande hétérogénéité, les débats autour du salaire minimum sont semblables dans la plupart des pays. Ils opposent souvent le patronat, qui juge le salaire minimum trop élevé, aux syndicats, qui réclament des hausses.

Au Luxembourg, les syndicats réclament une augmentation de 10 % du salaire social minimum (SSM). S’il est déjà le plus élevé d’Europe, il ne suffit pas pour vivre, selon eux, sachant que le loyer moyen d’un deux-pièces est de 1.282 euros. Côté patronal, on répond qu’une telle hausse « risquerait de tuer les entreprises les plus faibles », selon les termes de Jean-Jacques Rommes, président de l’Union des entreprises luxembourgeoises (UEL).

En Roumanie, où le salaire minimum a doublé entre 2013 et 2017, passant de 700 à 1.450 lei (de 157 à 319 euros), « les employeurs sont souvent amenés à supprimer des postes ou à opter pour le travail au noir », selon l’économiste Dan Popa. Lors de la dernière hausse, au 1er janvier 2018, 60 % des employeurs interrogés craignaient de devoir procéder à des licenciements, selon un sondage réalisé par une organisation patronale des PME.

Le salaire minimum est beaucoup moins dynamique en Grèce, qui, sous la tutelle de ses créanciers, l’a abaissé de 877 à 684 euros en 2012. Le gouvernement de gauche d’Alexis Tsipras, qui avait promis de l’augmenter, n’est finalement pas passé à l’acte. Comme dans les autres pays, le patronat grec s’oppose à toute hausse au nom de la « flexibilité » du marché du travail.

Au Royaume-Uni, un récent rapport de l’Institute for fiscal studies (IFS), organisme indépendant réputé, explique qu’un nombre croissant d’employés pourraient perdre leur emploi si le « national living wage » (NLW, salaire national de subsistance) continuait d’augmenter. Le 1er avril, le NLW doit passer à 7,83 livres sterling brut de l’heure pour les salariés de plus de 25 ans (soit plus de 1.510 euros mensuels).

En Allemagne, avant la création d’un salaire minimum en 2015, la droite et certains économistes prédisaient des licenciements à la pelle, l’institut IFO parlant de 900.000 emplois menacés. Le « Mindestlohn » est aujourd’hui fixé à 1.498 euros et, « jusqu’à présent, on ne voit aucun effet négatif sur l’emploi », selon Dirk Schumacher, économiste chez Natixis à Francfort. Mais la réforme n’a pas non plus produit d’effet positif sur la pauvreté, qui est restée stable, nuance-t-il.

Une étude menée en 2016 par l’institut IAB avait estimé à 60.000 le nombre de postes détruits ou non créés à cause du salaire minimum. En parallèle, depuis 2014, quelque 436.000 emplois avaient été créés.

L’Allemagne n’a pourtant pas fait d’émules parmi les pays toujours dépourvus de salaire minimum légal.

En Italie, où la régulation des rémunérations se fait au niveau des branches professionnelles, l’instauration d’un salaire minimum légal a récemment été envisagée. Le Jobs Act, réforme du marché du travail menée en 2014 par le Premier ministre Matteo Renzi (centre-gauche), habilitait le gouvernement à créer un tel dispositif, mais l’idée avait finalement été écartée.

 

Un pourcentage du salaire médian 

Le « socle européen » ne promeut pas un salaire minimum unique, applicable uniformément à tous les pays.

« Ce serait aberrant que de vouloir le revendiquer », convenait Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, début 2017.

Selon l’analyste Claire Dhéret, « ce serait en décalage avec les écarts de pouvoir d’achat entre États membres ». « Toutes les propositions crédibles qui ont été faites jusqu’à présent sont plutôt sur un pourcentage du salaire médian, qui pourrait varier entre 50 % et 60 % », rapporte-t-elle.

Le Luxembourg, notamment, propose un tel mécanisme.

Mais parmi les arguments en faveur d’un salaire minimum européen figure la lutte contre le dumping social. Or un mécanisme basé sur le niveau actuel des salaires dans chaque pays ne résorberait pas, dans l’immédiat, les écarts entre pays de l’Union.

L’argument des défenseurs d’un tel dispositif, « c’est d’avoir un socle qui puisse permettre d’aller vers de la convergence sur le long terme », analyse Mme Dhéret.

D’ailleurs, si le président français Emmanuel Macron (social libéral) plaidait en septembre pour un « salaire minimum adapté à la réalité économique de chaque pays », il insistait sur la nécessité de « progressivement (…) les faire converger ». En France, le salaire minimum de croissance (SMIC) flirte avec les 1.500 euros.

Réticences des pays de l’Est… 

Le salaire minimum européen compte de nombreux détracteurs à l’Est.

Pour le ministère tchèque du Travail, les « importantes différences de niveau de développement économique » entre États membres « ne permettent pas, en ce moment, l’instauration d’un salaire minimum au niveau européen ».

« La fixation du salaire minimum relève de la compétence des pays membres et c’est la bonne solution », renchérit son homologue polonais.

« Fixer un salaire minimum européen est peu plausible, car chaque économie a sa spécificité, son propre niveau de fiscalité », estime l’économiste roumain Dan Popa. « Si une telle décision était prise, la Roumanie serait bien sûr obligée de s’y plier, mais elle aurait d’énormes difficultés à la mettre en œuvre, car la différence entre le salaire minimum roumain et la moyenne dans l’UE est très grande ».

Pourtant, la Roumanie, comme la Pologne, ne serait pas forcément affectée par la mise en place d’un mécanisme européen, son salaire minimum actuel dépassant déjà 50 % du salaire médian.

Mais selon Claire Dhéret, les réticences des pays de l’Est ne reposent pas seulement sur « une question de compétitivité ». « Il y a aussi une résistance par rapport au fait que l’Union européenne puisse s’occuper de tels sujets. C’est un peu un clash culturel d’accepter qu’elle puisse avoir des compétences sur des sujets qui ont toujours été considérés comme des compétences nationales », explique-t-elle.

… mais aussi des pays nordiques 

« On met en avant le clivage est-ouest. Mais il existe aussi un clivage avec les pays nordiques, qui sont plutôt frileux vis-à-vis d’un mécanisme européen », relève Claire Dhéret.

Le Danemark, la Finlande et la Suède figurent parmi les pays dépourvus de salaire minimum légal. La fixation des minima se fait, dans ces pays, par la négociation entre partenaires sociaux.

Ce système fait notamment consensus en Suède, qui affiche des niveaux de salaires parmi les plus élevés d’Europe. Le pays scandinave tient à cet « équilibre » et craint qu’une « harmonisation européenne » ne débouche sur un nivellement par le bas, selon une source diplomatique.

Claire Dhéret fait la même analyse : les pays nordiques « considèrent ça comme une menace pour leur système social ».