EurActiv (28.03.2018) Face aux nombreuses difficultés d’accès aux médicaments en Afrique, les États africains tentent d’organiser le marché pour augmenter la production locale, qui ne pèse que 3 % de la production mondiale.
ace aux nombreuses difficultés d’accès aux médicaments en Afrique, les États africains tentent d’organiser le marché pour augmenter la production locale, qui ne pèse que 3 % de la production mondiale.
L’Afrique peine à produire ses propres médicaments. Malgré un marché en pleine expansion, la production locale de médicaments représente seulement 3 % de la production mondiale.
Une faiblesse qui entraine une dépendance extrêmement élevée aux importations depuis l’Europe, entre autres. « En Côte d’Ivoire par exemple, 96 % des produits pharmaceutiques sont importés, ce qui entraîne des problèmes de traçabilité, de qualité, mais aussi de prix », explique Mahama Ouattara, professeur de chimie médicinale et directeur adjoint de la Direction de la Pharmacie, du Médicament et des Laboratoires de Côte d’Ivoire.
La question sera abordée à l’occasion de la conférence ID4D « Le médicament en Afrique : comment mieux répondre aux enjeux d’accessibilité et de qualité ? », organisée par l’Agence française de développement le 3 avril à Paris.
Demande forte
Pourtant, la demande est présente du côté des patients africains. Ainsi, selon des estimations, les dépenses anticipées pour les produits pharmaceutiques devraient atteindre entre 40 et 45 milliards de dollars par an en Afrique d’ici 2020, contre 14,5 milliards en 2010.
« Le marché est très prometteur. Sur la zone ouest-africaine notamment, il y a une forte demande en médicament », explique Mahama Ouattara. « Le marché est là. Mais on a une accessibilité, une qualité, et des niveaux de prix qui sont problématiques ».
Développer le marché local
Pour le professeur ivoirien, la construction du marché du médicament dans de nombreux pays africains s’est faite dans la continuité de l’histoire coloniale du continent. « Les fabricants européens approvisionnaient les colonies. Ensuite, il n’y a pas eu de politique volontariste pour changer cette politique d’importation, alors qu’aucun pays au monde n’a pu développer un marché local sans politique protectionniste », poursuit-il.
Pour aider l’industrie locale du médicament à creuser son sillon, certains pays africains, notamment en Afrique du Nord, ont misé sur des mesures de protection du marché du médicament, telles que des taxes à l’importation, des incitations fiscales ou encore des aides pour l’accès au financement des laboratoires locaux.
« Concrètement, il n’y a vraiment que l’Afrique du Sud et les pays du Maghreb qui sont parvenus à développer une production locale de médicaments, ainsi que le Kenya et le Sénégal dans une certaine mesure », détaille Mehdi Tanani, coordinateur de la revue Secteur privé et Développement chez Proparco. Le Maroc réussit par exemple à couvrir 70 à 80 % des besoins pharmaceutiques de sa population.
Prix des médicaments
Outre la question de la production locale, l’accessibilité des médicaments en Afrique est notamment entravée par la cherté des médicaments. « Le médicament représente une part importante des coûts de santé, donc quand on parle d’accès on parle aussi d’accès financier », explique Philippe Walfard, responsable adjoint de la division santé et protection sociale de l’AFD.
Aujourd’hui, la création d’une couverture santé universelle fait partie des chantiers prioritaires à l’agenda santé de nombreux pays africains. Si certains pays sont plus avancés que d’autre – comme le Rwanda qui a mis en place un système national d’assurance maladie en 2004, couvrant aujourd’hui plus de 80% de sa population -, l’ensemble des pays du continent visent l’instauration d’un système de couverture sanitaire, un objectif validé dans le cadre des objectifs de développement durable (ODD).
« Les lignes sont en train de bouger. La demande de santé est en train de croitre en Afrique, et le politique va devoir y répondre. La question de l’accessibilité financière est clairement à l’agenda avec la couverture santé universelle, même si cela prendra du temps », explique Philippe Walfard.
Rendre plus accessibles financièrement les médicaments devrait aussi passer par la rationalisation de la chaîne de distribution. Particulièrement complexe, elle capte une partie trop importante de la valeur des médicaments. « En Afrique, il y a eu une multiplication des intermédiaires ces dernières années ce qui a renchéri le prix des médicaments », assure Mehdi Tanani. Au Kenya par exemple, 50 % du prix final d’un médicament est constitué par les marges des intermédiaires. Un taux excessivement élevé, alors que la moyenne de ce coût dans pays de l’OCDE oscille entre 2 % et 24 % du prix final.
Faux médicaments
La question de l’accessibilité financière des médicaments devrait également permettre des avancées sur le front de la lutte contre la contrefaçon de médicament, un fléau qui touche particulièrement le continent africain.
Faute de médicaments accessibles et de qualités, les patients se tournent souvent vers les produits contrefaits, moins chers. Mais les faux médicaments se retrouvent également sur le marché officiel à la faveur de la faiblesse des instruments de contrôle de la chaîne d’approvisionnement.
Dès qu’il y a une faille dans la chaîne, il y a des faux médicaments qui s’introduisent », explique Philippe Walfard. « C’est aussi le manque de moyen et de régulateurs fort dans les pays d’Afrique de l’Ouest qui est responsable des faux médicaments », affirme pour sa part Mahama Ouattara.
La question de la régulation du marché avance pas à pas. Dans certains pays, comme la Côte d’Ivoire, un régulateur national est en train de voir du jour. « Actuellement, on est en train d’opérationnaliser l’agence ivoirienne du médicament. Le problème des faux médicaments au Bénin a eu un effet boomerang et les politiques ont pris conscience de la nécessité de mettre en place un système de régulation beaucoup plus fort », explique Mahama Ouattara.
Au niveau du continent, la réflexion sur la création d’une agence à l’échelle de l’Union africaine est en réflexion, « mais il y a toujours la question de la volonté politique », nuance Philippe Walfard. Un chantier qui pourrait encore prendre du temps.