Les petits jobs, moteur de l’économie canadienne

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Le Temps (26.10.2018) Plutôt que de privilégier le développement des «emplois d’avenir», qui seraient des métiers hautement qualifiés, les Canadiens, et notamment les Québécois, misent depuis longtemps sur les petits jobs. Avec succès

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Pfizer, Pharmabio, Pharmalab. Telles sont les sociétés que les Québécois ont mises en avant dans une immense foire à l’emploi qui s’est tenue en fin de semaine dernière à Montréal. Les entreprises techno y occupaient les stands les mieux placés. Voilà pour épater la galerie. Car si le Canada veut projeter une image de pôle technologique ou pharmaceutique aux yeux de l’étranger, la réalité est plus contrastée.

«Comparativement à de nombreux autres pays de l’OCDE, la proportion de diplômés universitaires canadiens est peu élevée dans les domaines en forte demande comme les sciences, les mathématiques et l’ingénierie et […] le domaine des affaires», note un rapport du Budget canadien, avant d’ajouter que «le nombre de gestionnaires hautement scolarisés est relativement faible, ce qui peut donner lieu à des degrés d’innovation moins élevés».

Les emplois créés ces dernières années sont des jobs précaires et sans avantages sociaux

Un avocat montréalais

Seuls 24% des Québécois ont un diplôme universitaire. Selon une enquête de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) sur la rémunération dans les entreprises privées du Québec de 200 à 400 employés, à peine 8% des salariés ont un diplôme d’études supérieures et 42% ont reçu une formation secondaire. Cela n’empêche pas le Canada de bien réussir dans le domaine de la création d’emploi. Avec un taux de chômage national de 5,9% en septembre et de 5,3% au Québec, le pays fait figure d’eldorado aux yeux de ses partenaires du G7. Rien de brillant cependant pour ce qui est des emplois hyper-qualifiés.

Pas de «petits jobs», mais des jobs tout court

Au Provigo, un supermarché du populaire quartier montréalais de Rosemont-La Petite-Patrie, un jeune Québécois s’affaire près des caisses du magasin, tandis qu’une jeune femme fait de même. Leur métier: commis emballeur des courses des clients. Le Canada compte nombre de ces jobs peu ou non existants en Europe: hôtesses placeuses de restaurant, cireurs de chaussures, livreurs de courses en cyclo-pousse ou de colis à vélo.

Le Canada vibre pour les «jobines» (petits emplois en québécois). «Petits jobs»? Personne ne porte de jugement de valeur sur le prestige du travail de l’autre dans le pays à la feuille d’érable. «Il y a beaucoup de jobines payées au salaire minimum (qui est de 12 dollars canadiens au Québec, soit 9,14 francs). Et cela malgré une forte pénurie de main-d’œuvre», confie une conseillère d’un stand d’orientation de carrière de la Foire de l’emploi de Montréal.

Lire aussi: «Les «bullshit jobs»  se sont multipliés de façon exponentielle ces dernières décennies»

Selon un rapport de l’institut national Statistique Canada publié le 11 octobre, le pays comptait 547 000 postes vacants en septembre. Si la conseillère d’orientation assure que quelques patrons sont obligés d’augmenter les salaires pour garder leurs employés, des centaines de milliers de travailleurs perçoivent le salaire minimum dans les chaînes de restauration rapide.

Primes d’un dollar

Derrière le stand du géant Kentucky Fried Chicken, un recruteur se désole de ne pas trouver de candidats. «Nos employés sont âgés et ils aiment leur emploi. Mais les jeunes ne veulent pas travailler le soir et les week-ends», assure-t-il. Pour quel salaire? «Le salaire minimum», confie le démarcheur. Un peu plus loin, la recruteuse d’un centre de télé-marketing vante son entreprise à un jeune travailleur. «Si vous travaillez chez nous, il y a des primes d’un dollar, en plus du salaire minimum. Ce sont d’excellentes conditions de travail», assure la jeune femme. Même son de cloche chez le géant des équipements sportifs Decathlon, qui a ouvert son premier magasin à Brossard, dans la banlieue de Montréal, en avril dernier. L’entreprise recherche 200 employés pour des salaires oscillant entre 12 et 15 dollars de l’heure.

S’il n’existe pas de statistiques sur les petits jobs, l’ISQ, dans une récente étude sur la qualité de l’emploi, estime qu’en 2016 environ 30% des emplois de la Belle Province étaient de «qualité faible». Un avocat montréalais, spécialiste des questions d’emploi et négociateur syndical, qui préfère rester anonyme, conclut: «Les emplois créés ces dernières années sont des jobs précaires et sans avantages sociaux. Particulièrement pour ce qui est des régimes de retraite, dont le montant des prestations, autrefois garanti par l’employeur, l’est de moins en moins.»