Assurance maladie : contre la fraude, la Suisse pourrait autoriser les détectives

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Le Figaro (27.10.2018) Une loi fédérale, qui autorise la surveillance en cas de soupçons de fraude à l'assurance maladie, sera soumise au vote des Suisses en novembre prochain. Un type de contrôle qui porte ses fruits mais qui pose des problèmes, dans son principe et son application.

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La vidéo, tournée par un enquêteur privé, est cocasse. Sur un premier plan, on observe un travailleur suisse, aidé financièrement car «ne pouvant plus se déplacer», et se baladant pourtant d'un pas alerte, deux béquilles inutiles dans la main. Sur le plan suivant, alors qu'il se rapproche des bureaux de sa compagnie d'assurance, l'homme utilise maintenant ses cannes, avance de façon hésitante... Une belle performance d'acteur et un cas typique de fraude, qui concerne autant les services sociaux publics que les assurances privées. Les citoyens du pays sont amenés à s'exprimer le 25 novembre prochain sur ce problème, lors d'une votation populaire, en autorisant ou non les services sociaux à recourir à des «observations» des administrés, pour lutter contre ces arnaques.

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Un abus constaté une fois sur deux

La surveillance des administrés n'est pas nouvelle dans le pays. Entre 2009 et 2016, environ 2000 enquêtes auraient été menées chaque année, lorsque les bénéficiaires étaient soupçonnés de mensonge. Selon le quotidien 24 heures, les observations ont coûté 8 millions de francs suisses sur les sept ans (6,8 millions pour le personnel dédié et 1,3 million pour la mise en œuvre), mais les économies réalisées suite aux redressements atteignaient 40 millions par an. Un dossier étudié sur deux révélait un abus de la part de l'assuré. Les prestations de l'assurance invalidité sont de l'ordre de 8 milliards de francs annuels.

Les observations ne sont plus possibles depuis juillet 2017, lorsque le Tribunal fédéral a étendu une interdiction d'enquête émanant de la Cour Européenne des droits de l'homme à l'«assurance invalidité». La Cour européenne avait en effet interdit ces pratiques dès 2016 pour l'«assurance accidents». Toutefois, la Confédération vient de préparer un nouveau projet de loi fédérale sur les assurances sociales, qui doit permettre de rétablir cette pratique et de mieux l'encadrer. Selon les rédacteurs du projet de loi, la surveillance servirait à lutter non seulement contre la fraude, c'est-à-dire la simulation active d'une invalidité mais aussi contre les «abus», qui recouvrent les cas où l'assuré omet de déclarer que sa santé s'est améliorée, ou que ses revenus ont augmenté et ne justifient plus une aide.

C'est contre cette initiative qu'un groupe de citoyens, rejoint par les partis socialistes et écologistes, s'est mobilisé et a obtenu la tenue d'un référendum. Mais les enjeux financiers sont conséquents, et l'impératif de justice sociale conduit de nombreux Suisses à vouloir rendre les fraudes moins faciles, fut-ce au prix d'un «flicage» ciblé. Selon un sondage Tamedia, 67% des citoyens s'apprêtent à voter en faveur de cette pratique lors du référendum.

Des risques pour les rapports humains?

Dans le détail, le texte prévoit d'autoriser les enregistrements sonores et filmés, et l'utilisation de GPS pour traquer les éventuels fraudeurs. Tous les lieux «librement visibles» seraient accessibles aux enquêteurs, incluant les balcons des administrés, ou les vues de leur appartement depuis l'extérieur. La surveillance doit être faite pendant un maximum de 30 jours sur une période de six mois et à la fin de l'opération, elle doit être notifiée à la personne observée. En revanche, l'Office fédéral des assurances sociales, donneur d'ordre potentiel de ces enquêtes, exclut l'utilisation des technologiques trop intrusives ou performantes (drones, jumelles à vision nocturne, caméras infrarouges, télescopes...). Une prudence bien trop relative selon les opposants. Pour Lisa Mazzone, députée et membre du parti écologiste, la loi permet «une surveillance qui va plus loin que les moyens donnés à la police pour traquer des criminels».

Au-delà des enquêtes en elles-mêmes, c'est ce qui les provoque qui peut poser problème: le texte prévoit en effet que l'assureur peut se lancer s'il dispose d'«indices concrets». Un élément qui, vaguement défini, pourrait bien encourager les délations, et dénaturer les rapports humains en société. Un autre phénomène négatif, dont les premiers responsables restent encore une fois les fraudeurs.