France: Le chômage paie-t-il plus que le travail ?

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Alternatives Economiques (05.02.2019) Les modalités de calcul des allocations chômage pour les contrats courts peuvent, dans certaines situations, générer des effets d’aubaine. Mais dans l’immense majorité des cas, il est impossible de gagner plus au chômage qu’en travaillant.

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Il faut s’y résigner. La petite musique des demandeurs d’emploi qui rechignent à traverser la rue pour trouver un job n’a pas fini de résonner. Non seulement ils n’auraient pas le goût de l’effort, délaissant même des centaines de milliers d’offres, mais ils se « mettraient au chômage » par intérêt financier. Dans le magazine Challenges, la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, a remis une pièce dans la machine, soulignant qu’on pouvait « gagner plus en étant au chômage » qu’en travaillant. Le chômage est-il cet eldorado qui garderait au chaud 5,6 millions de personnes inscrites à Pôle emploi ? Revue de détails en quatre points. 

1. Peut-on vraiment gagner plus au chômage qu’au travail ?

L’exemple choisi par Muriel Pénicaud dans un entretien accordé à Challenges le 17 janvier et que le cabinet de la ministre nous a davantage détaillé a de quoi faire sourciller. Travailler pendant un an à mi-temps en CDI payé au Smic, soit 740 euros par mois, donne droit à une allocation chômage de 480 euros. En revanche, le salarié qui réalise ce même volume d’heures mais en alternant contrats courts de quinze jours et périodes de chômage de quinze jours, touchera une allocation deux fois plus élevée, à savoir 960 euros. « Il y a là un problème d’incitation et d’équité », pointe le ministère du Travail.

Alors est-ce vrai ? Un demandeur d’emploi peut-il gagner plus au chômage qu’en travaillant ? Dans ce cas très précis, oui. Parce que l’Unédic calcule les droits au chômage sur une base journalière et non pas à partir d’un revenu mensuel. Pour établir une indemnité mensuelle, l’assurance chômage multiplie par 30 (jours) une allocation journalière brute qui correspond à 80 % de ce qu’a perçu la personne par jour en travaillant.

Cette règle de calcul favorise donc le fractionnement des contrats courts au détriment de l’activité en continu. Depuis la dernière convention d’assurance chômage de 2017, les partenaires sociaux ont neutralisé cette iniquité pour les contrats inférieurs à cinq jours, mais la modalité de calcul continue à s’appliquer pour les autres CDD. Celui ou celle qui travaille par exemple quinze jours par mois pendant huit mois touche la même allocation que celui ou celle qui va tous les jours au boulot pendant quatre mois. « Cette règle est assez injuste, reconnaît l’économiste Bruno Coquet, spécialiste de l’assurance chômage. Elle n’est pas non plus compatible avec une logique d’assurance. Quand vous allez chez le médecin, vous payez 28 euros, on ne vous rembourse pas 56 euros. Dit autrement, vous ne pouvez pas être assuré pour le prix d’un vélo et être dédommagé comme s’il s’agissait d’une grosse cylindrée ! Pour autant, les économies attendues ne devraient pas se faire aux dépens des assurés. Par exemple, on pourrait couvrir plus intelligemment certaines catégories qui en ont besoin, comme les seniors. »

Et surtout, estime l’économiste, la question à creuser est de savoir combien de personnes sont concernées par cet effet d’aubaine et pour quel montant exactement. Car aujourd’hui, cette dérive liée au salaire journalier de référence (SJR) n’est pas documentée. On sait en revanche que sur 33 milliards de prestations versées, l’immense majorité des assurés perçoivent des allocations inférieures à leur ancien salaire. L’Unédic précise que l’allocation ne peut pas dépasser 75 % du SJR qui prend en compte tous les salaires bruts perçus au cours des douze mois précédents le chômage, primes comprises, mais hors indemnités liées à la rupture du contrat. 

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Pour correspondre à l’exemple très précis mentionné par la ministre du Travail, il faut cumuler volontairement et par pur calcul des CDD de quinze jours et cela au moins pendant huit mois, le délai minimum exigé dans ce cas pour prétendre à des indemnités chômage, contre quatre mois quand on a travaillé à temps plein. Ce que ne dit pas non plus Muriel Pénicaud, c’est que les conditions d’entrée dans le régime et la durée d’indemnisation sont des critères importants. Dans un cas, l’assuré cité en exemple touchera 480 euros sur douze mois alors que dans l’autre, il percevra 960 euros sur six mois. Et pour que ce petit manège avantageux se perpétue, il faudrait continuer à enchaîner ces CDD de manière stable sur une longue période. De tels abus existent – l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) les a notamment dénoncés dans un rapport au vitriol sur les contrats d’usage –, mais ils sont susceptibles d’être sanctionnés par des requalifications en CDI. Une mauvaise affaire pour les employeurs.

Le choix d’un salarié rémunéré au niveau du Smic n’est pas non plus pris au hasard. Le différentiel entre l’ancien salaire (740 euros) et l’allocation chômage (960) est d’autant plus saisissant. Le taux de remplacement, c’est-à-dire le rapport entre l’indemnité calculée et l’ancien salaire sur lequel elle est calculée, est en effet plus favorable pour les bas salaires que pour les plus hauts, sans compter que l’allocation est plafonnée (à 248,19 euros par jour).

Ainsi, le taux de remplacement net, ce que le demandeur d’emploi empoche réellement, est de 75 % pour un salarié payé au Smic, mais il descend jusqu’à 57 % pour celles et ceux qui gagnent plus de 2 000 euros. Et encore faut-il toucher une indemnité ! En effet, moins de la moitié des inscrits à Pôle emploi sont indemnisés, pour un montant moyen de 1 020 euros nets par mois. Malgré les dérives possibles, dont celle pointée par Muriel Pénicaud, le travail reste toujours plus rémunérateur que le chômage.

2. Le cumul salaire et allocation est-il trop avantageux ?

« La règle du cumul emploi-chômage n’incite pas à la reprise d’un travail », a donc déclaré la ministre du Travail dans Challenges. Or ce système a justement été conçu pour que les demandeurs d’emploi n’aient jamais à redouter d’accepter un emploi, aussi court et mal payé soit-il !

Chaque fois qu’un chômeur reprend un travail, il peut cumuler un revenu d’activité avec une partie de ses allocations chômage. L’objectif est de faire en sorte qu’il ne perde pas de revenus, mais aussi qu’il se remobilise, garde un lien avec le monde du travail, développe ses compétences et, bien sûr, qu’il puisse accéder à un emploi durable. L’incitation reste toutefois limitée. Le cumul ne doit pas dépasser le montant de son ancien salaire. Si la personne accepte une mission très bien rémunérée, son allocation est diminuée, voire suspendue et ses droits sont différés. Dans les faits, un chômeur qui cumule salaire et allocation – ils sont 865 000 dans cette situation – gagne en moyenne 10 % de plus que s’il ne devait compter que sur ses seules allocations. Selon les données de l’Unédic, un demandeur d’emploi qui travaille perçoit en moyenne une indemnité de 540 euros nets et un faible salaire de 700 euros nets.

Là encore, le travail se révèle plus rémunérateur que le chômage. La règle du cumul, tout comme les droits rechargeables, demeure indispensable pour éviter que les demandeurs d’emploi ne s’installent durablement dans le chômage. S’ils ne pouvaient plus cumuler, ni différer leurs droits dans le temps, ils n’auraient plus intérêt à accepter des missions courtes et/ou moins bien rémunérées que leur emploi précédent. Mais cette possibilité favorise aussi, revers de la médaille, l’explosion des contrats courts. Non pas que les chômeurs s’y installent par confort - la plupart aspirent à des CDI à temps plein - mais parce que les employeurs y trouvent un intérêt financier.

Des secteurs bien connus – tourisme, hôtellerie-restauration, entreposage, médico-social, construction, audiovisuel… – concentrent l’essentiel des CDD (contrats d’usage, d’intérim, intermittence…). Beaucoup d’employeurs déplorent aujourd’hui de ne pas pouvoir recruter. Pourtant, 40 millions de contrats courts sont créés par an1. Qui les occupe ? Les chômeurs. Ce sont eux qui acceptent de cumuler allocations et petits salaires, venant ainsi grossir l’armée de réserve des abonnés à la précarité.

Conséquence, cette multiplication des contrats courts est onéreuse pour l’assurance chômage, tenue de réaliser près de 4 milliards d’euros d’économies en trois ans. L’Unédic estime que le cumul emploi-allocation coûte plus de 5,4 milliards d’euros par an en prestations versées. Au global, l’ensemble des contrats courts représente un déficit de 8,7 milliards par an, alors que les CDI dégagent 10 milliards d’excédents. « Ce n’est pas le principe du cumul qu’il faut revoir mais la tarification des contrats courts qui sont favorisés par l’assurance chômage, mais cela ne réglera pas tout car les allègements de cotisations sur les bas salaires bénéficient aussi aux contrats courts », poursuit Bruno Coquet, co-auteur avec Eric Heyer de l’OFCE d’un rapport sur les moyens de maîtriser les effets des contrats courts, présenté au sénat.

Les partenaires sociaux ont jusqu’à la fin du mois pour négocier un éventuel bonus-malus. Après avoir claqué la porte le 28 janvier dernier, le patronat a annoncé qu’il reviendrait à la table des négociations avec de nouvelles propositions. Par le passé, les conventions d’assurance chômage ont toutes buté sur la question du bonus-malus. Le patronat a toujours campé sur la même ligne : un bonus-malus dissuaderait les entreprises de recruter. Mais faute d’accord, le gouvernement aurait ainsi la possibilité de reprendre la main.

3. Allocation chômage et aides sociales sont-elles plus avantageuses qu’un travail ?

Pour être éligible à l’assurance chômage, un demandeur d’emploi doit avoir travaillé au moins 4 mois au cours des 28 mois précédents. Et plus il a travaillé, plus il peut prétendre à la durée d’indemnisation maximale : 2 ans pour les salariés de moins de 53 ans et jusqu’à 3 ans pour les 55 ans et plus. A raison de 1 020 euros nets par mois (en moyenne) et de quelques aides sociales, un demandeur d’emploi de catégorie A (qui n’a pas du tout travaillé dans le mois) peut-il se permettre de rester chez lui ?

Encore une fois, la réponse est non. Le débat est récurrent : les indemnités de chômage plus généreuses que chez nos voisins n’inciteraient pas à la reprise d’emploi. Mais « la France se caractérise par une forte prépondérance de l’assurance chômage dans les revenus des demandeurs d’emploi qui reflète la quasi-absence d’autres transferts sociaux spécifiques à destination des demandeurs d’emploi », rappelle une note du Trésor.

Contrairement à beaucoup de pays, en France, les demandeurs d’emploi ne bénéficient pas d’aides spécifiques. « En Allemagne, ce sont surtout les exonérations d’impôts qui contribuent à accroître le revenu des demandeurs d’emploi », explique l’auteure de la note. Le Royaume-Uni a développé un système de sanctions des chômeurs les plus stricts d’Europe. Mais outre-Manche, poursuit l’auteure, « la politique familiale apparaît particulièrement généreuse : elle passe par des allocations familiales (Child Benefit), mais également par des crédits d’impôt familialisés (le Child Tax Credit, versé sous conditions de ressources aux personnes ayant charge d’enfant, et le Working Tax Credit, aide au retour à l’emploi modulée en fonction des charges de famille). Les allocations logement (Housing Benefit) qui dépendent du revenu et de la composition de la famille peuvent également atteindre des montants très élevés ».

Même si les comparaisons internationales sont difficiles à établir entre les différents régimes d’indemnisation, il faut donc tenir compte des taux de remplacement nets qui sont calculés en rapportant le revenu net au chômage et le revenu net en emploi. « Ils intègrent ainsi plusieurs sources de variation des revenus ne relevant pas directement du régime d’assurance chômage, notamment la fiscalité ainsi que diverses allocations ou aides (prestations familiales, allocations logement, aide sociale, allocations sous condition d’emploi le cas échéant) », précise la note du Trésor. Et, in fine, ce qui tombe dans la poche des chômeurs français se situe dans la moyenne de l’OCDE.