Le Temps (27.03.2018) Une initiative parlementaire sera prochainement discutée à Berne pour faire reconnaître le burnout comme maladie professionnelle : « L’acceptation de cet état comme maladie professionnelle permettrait de reconnaître cette pathologie en constante augmentation. Une telle reconnaissance permettrait une meilleure prise en charge des patients, faciliterait la réinsertion professionnelle en contribuant à admettre socialement ce syndrome et permettrait de renforcer la prévention de son apparition »
Une initiative parlementaire sera prochainement discutée à Berne pour faire reconnaître le burnout comme maladie professionnelle : « L’acceptation de cet état comme maladie professionnelle permettrait de reconnaître cette pathologie en constante augmentation. Une telle reconnaissance permettrait une meilleure prise en charge des patients, faciliterait la réinsertion professionnelle en contribuant à admettre socialement ce syndrome et permettrait de renforcer la prévention de son apparition »[1].
En France, pays régulièrement secoué par des grèves et des cas tragiques de suicides au travail, cette question a été rejetée pour la 3ème fois à l’Assemblée Nationale en février 2018. Selon Agnès Buzyn, Ministre de la Santé : « Aujourd’hui, il s’avère que le burn-out n’est pas une maladie. C’est un ensemble de symptômes et, donc, c’est très difficile de décider que c’est une maladie professionnelle ». La Haute Autorité de santé qu’elle présidait avait rendu un avis défavorable à cette reconnaissance en mai 2017 déjà.
Le burn-out n’est pas un diagnostic reconnu, comment peut-il être déclaré comme une maladie professionnelle ?
Effectivement, le burn-out n’est pas une pathologie reconnue; pour l’instant ce syndrome est défini dans les classifications médicales internationales comme diagnostic « accompagnant » et non pas principal, sous les termes suivants : « ICD-10 : Z 73.0 Syndrôme du burn-out[2] : Problèmes liés aux difficultés à faire face aux réalités de la vie ».
Les recherches scientifiques se concentrent à l’heure actuelle sur les effets toxiques des hormones de stress sur notre organisme. Des marqueurs biologiques évaluant la « charge allostatique[3] » permettront probablement bientôt de mesurer le degré d’épuisement. Le burn-out ne va pas tarder à être défini comme une pathologie spécifique à part entière.
Selon le Secrétariat d’Etat à l’Economie[4], le rapport étroit au travail différencie cet état d’épuisement d’états émotionnels plus généraux. Il entre dans la catégorie des «troubles de la santé associés au travail».
Le burn-out ne pourrait être qualifié de maladie professionnelle en l’état actuel de la loi suisse
Seule une analyse clinique par un professionnel habilité permettrait d’évaluer dans quelles proportions les causes du stress chronique appartiennent au poste de travail ou à l’individu.. Pour être reconnu comme maladie professionnelle, il faudrait que les causes du burn-out résultent à plus de 75 % de l’activité professionnelle. Selon l’art. 9 al. 1 LAA (Loi fédérale sur l’assurance accident), sont réputées maladies professionnelles les maladies dues exclusivement ou de manière prépondérante, dans l’exercice de l’activité professionnelle, à des substances nocives ou à certains travaux listés dans l’annexe 1 à l’OLAA. Une maladie sera reconnue comme maladie professionnelle s’il est prouvé qu’elle a été causée exclusivement ou de manière nettement prépondérante par l’exercice de l’activité professionnelle (art. 9 al. 2 LAA). Pour que le burn-out soit reconnu comme maladie professionnelle, il faudrait donc pouvoir établir un lien direct entre l’apparition de la dégradation de la santé dû au stress chronique et certaines conditions de travail. Par exemple, le fait que les insomnies de la personne aient commencé suite à un conflit professionnel. Vu l’origine multifactorielle du burn-out, il peut être difficile de prouver que ce soit le cas pour certaines situations, d’autant plus que les facteurs de risques sont complexes en interaction entre eux.
En l’état actuel du droit suisse…
Le burn-out n’étant pas une maladie professionnelle, ce n’est donc pas l’assurance-accident qui prend en charge les frais et la perte de gain liés à ce syndrôme. Sans être officiellement un diagnostic médical, cet état d’épuisement nécessite souvent un arrêt de travail, le médecin étant responsable d’évaluer l’état de santé du patient et de sa capacité de travail. Durant la période d’incapacité de travail, le salaire est dû et l’employé est protégé (entre 3 semaines et 6 mois) contre la résiliation de son contrat de travail. L’assurance maladie prend, quant à elle, en charge les frais médicaux relatifs au traitement des symptômes du burn-out.
Quels seraient les points essentiels de ce débat parlementaire en Suisse ?
La responsabilité de l’entreprise est déjà engagée par la loi sur le travail : elle est tenue de protéger la santé physique et psychique de ses collaborateurs (art. 328 CO). Elle a l’obligation de faire de la prévention et de dépister de façon précoce les employés à risques en déséquilibre pour les orienter vers une aide adéquate. Des inspecteurs du travail visitent les entreprises pour vérifier la mise en place des mesures de prévention des risques psycho-sociaux.
Si le burn-out était déclaré comme maladie professionnelle, le salaire des employés atteints de burn-out en incapacité de travail serait payé dès le premier jour par l’assurance accident. Les frais de prise en charge et de traitement seraient à charge l’assurance accident plutôt que l’assurance maladie. Tous les cas de burn-out devraient obligatoirement être déclarés à l’assurance accident. L’entreprise serait informée des cas de burn-out, alors qu’à l’heure actuelle, la majeur partie des cas n’est pas annoncée à l’entreprise par les collaborateurs épuisés. L’assurance accident serait en droit d’investiguer les conditions de travail dans l’entreprise en cas de maladie professionnelle. Les cas de burn-out dans une même entreprise deviendraient visibles autant de l’entreprise que pour un organe de contrôle de l’assurance accident. Par contre, les employés en burn-out seraient exposés car obligés de s’annoncer en victime. Une trace risque de rester dans leur dossier RH ce qui peut être dommageable pour la suite de leur carrière, beaucoup pensent encore que le burn-out est une fragilité durable.
Des questions plus larges pourraient être inclues :
Le burn-out est-il un problème de santé publique ?
Comment comprendre et voir l’évolution de cette souffrance au travail en Suisse et mettre en place des observateurs scientifiques de son éventuelle progression ? Il serait possible par exemple de demander aux médecins généralistes une déclaration systématique des cas à l’autorité cantonale comme cela se fait pour la grippe ou la rougeole.
Sur le terrain, il semble que le phénomène s’agrave
Certains organismes (syndicats) ainsi que les professionnels de la santé (médecins généralistes et psychologues) s’inquiètent de l’étendue des cas de burn-out en Suisse.
Il est donc effectivement important d’ouvrir un débat politique sur le burn-out, sa prévention, sa prise en charge et son coût pour l’économie suisse[5].
A l’avenir, les cas de burn-out en Suisse ont de fortes probabilités de se multiplier, la sédentarité grandissante (au travail et dans la vie privée) ainsi qu’une mauvaise gestion humaine des nouvelles technologies seront le grand challenge de la gestion du stress au travail dans les prochaines décénnies. Il devient par exemple de plus en plus difficile de ne pas se laisser envahir par les soucis professionnels dans notre vie privée en ayant notre bureau dans la poche ! Nous savons que se changer les idées régulièrement est une récuppération salutaire pour diminuer les effets nocifs du stress chronique.
[1] Initiative déposée par Mathias Reynard, socialiste
[2] ICD, International Statistical Classification of Diseases and Related Health Problems, système de classification des maladies de l’OMS.
[3] Le stress entraîne une production de cortisol (hormone du stress) qui déclenche une cascade de conséquences dans l’organisme. La charge allostatique représente le coût en énergie des conséquences négatives du stress sur l’organisme.
[4] SECO, commentaire de l’ordonnance 3 relative à la loi sur le travail, p. 250
[5] Le stress coûte aux employeurs suisses environ CHF 5,7 milliards par an, selon Job Stress Index (promotion santé suisse)